mardi 28 août 2012

Le Viking qui fait du Bruit

Cela fait un bon bout de temps que j'ai publié cette analyse-commentaire en réponse à un billet écrit sur le film "Le Guerrier Silencieux" (titre original Valhalla Rising).
Je profite de la reprise de mon blog pour le ressortir de ma hotte.

Voici l'article sur lequel j'ai réagi à l'époque. Si vous lisez les commentaires, vous verrez vite que cela tourne au pseudo débat stérile avec d'un côté le groupe des "faux intellectuels" qui font remarquer qu'il faut avoir de la culture et être intelligent pour comprendre un tel film et l'apprécier, et de l'autre côté la caste des "anti-bobo autoproclamés" qui contrent en pointant du doigt qu'un tel film n'est pas divertissant et que seuls les coupeurs de cheveux en quatre vont parler de lui en bien pour s'élever au-dessus des autres.

Comme aucun des groupes ne voulait en démordre et que tous les deux avaient tort, je me suis lancé dans ce que je considère comme une analyse judicieuse et tempérée, loin des réactions à chaud pour s'entendre parler. En voici la retranscription :


Le problème c'est que la majorité des gens cherchent un sens à tout, et ont besoin que tout ait un sens, dans la vie comme dans les films. C'est d'ailleurs un thème qui revient ici : le besoin de croire en des dieux plutôt que de se dire que rien de tout ça n'a de sens et qu'on n'est que ballotés par les événements, la nature et les autres, dont les agissements nous resteront à jamais incompris.

Comme dit plus haut, la véritable erreur est la présentation médiatique. Le film est classé dans les films d'aventure et on s'attend à un film enchaînant les combats, ou à la limite à une sorte de peplum façon vicking. Ce qui n'est pas du tout le cas.
C'est justement le flottement de l'action, la suspension hors du temps qui permet de rendre ce film marquant, pour qui sait rentrer dedans. Ce qui je l'avoue n'est pas à la portée de tout le monde. Et ça n'a rien à voir avec le fait d'être cultivé ou intelligent, c'est une question de sensibilité et ça ça ne se discute pas.

Personnellement, j'ai réussi à y rentrer dans ce film. Peut-être que les conditions étaient là pour ça : je l'ai regardé après minuit, donc dans la pénombre, seul (pas de séance de discussion avec le voisin). De légères coupures pour aller boire un verre, grignoter etc ne m'ont pas empêché de reprendre le fil et de replonger dedans.
Et ce qui m'a marqué dans ce film, c'est le contraste apporté par le dénuement et la lenteur. Pas de milliers d'acteurs qui se succèdent devant la caméra. Ils se comptent même sur les doigts de la main. Du coup on tente d'appréhender un peu mieux chacun. Les deux principaux dans ce cas étant le Borgne et le gamin. On prête plus attention aux détails. A la boursoufflure de l'oeil borgne, dont on détourne le regard aux premiers moments du films, mais qu'à force d'insistance on se prendra à détailler sans vergogne. A l'absence d'émotions sur son visage, comme taillé dans la pierre. A sa lassitude, qui transparaît non pas dans ses traits mais dans ses gestes lents, mesurés, jamais plus qu'il ne lui faut. Chaque regard, chaque mouvement acquiert une importance toute autre que les pirouettes d'un James Bond, car justement il y en a peu.

Et le dénuement se poursuit. Beaucoup de brumes, des paysages vides mais grandioses. Une cage puis la liberté tour à tour, rendus aveugles puis retrouvant la vue. Une façon de dire "la liberté oui, mais pour en faire quoi ?"
Et là encore, une réponse formulée à haute voix : "pour bâtir une nouvelle Jérusalem". Encore une fois la religion qui se pose en bâtisseur de sens au milieu de ce qui n'en a aucun.

Dénuement sonore encore. Bien souvent seuls le rythme des pas et le souffle du vent criblent le silence. Je parlerais plus d'ambiance sonore que de musique, car celle-ci est presque absente. Les rares fois où on l'entend elle n'est là que pour expliciter l'ambiance de manière audible. les battements du coeur qui cogne devant la fatigue, la lassitude et la peur de l'inconnu. La montée de l'adrénalyne, ou de la panique jusqu'à un point de non-retour. Point ici de symphonie amenant aux larmes et à la sonorité patriotique permettant de s'identifier aux héros et d'inculquer un sentiment de fierté, d'appartenance.
Tout comme les images, le son est réduit au strict minimum, ce qui met le contraste et donne une toute autre importance à chaque son, chaque parole. Car les discussions sont rares et les mots comptés. Le héros lui-même ne décrochant jamais même un râle, un peu comme si son existence lui était déniée par son absence d'expression orale. La violence lorsque les regards ne suffisent plus devient sa seule forme de communication, le seul moyen d'exprimer ses conditions.

Notez que je parle de contraste et donc de mise en évidence des détails, qui prennent dès lors plus d'importance. Mais je ne parle pas d'acquisition de sens. Pour moi il est clair que le film tourne autour de l'idée même d'absence de sens dans la vie de ces êtres à la dérive. Et pour montrer ça il n'y a que la lumière crue et violente. Exit les rondeurs, l'adoucissement des traits, le maquillage des faits. Voilà selon moi l'essence de ce film.

Après quoi on pourrait dire qu'on tient presque un bout de scénario. Les réminiscences/visions du Borgne, accompagnées du titre du film et de la résonnance entre le début et la fin, tendent à mettre un léger lien mythologique. Cela n'en fait pas pour autant un scénario tel que le spectateur moyen se voit habitué, d'où le malaise de beaucoup de gens devant le film.
Je me souviens avoir moi-même regardé Jeanne d'Arc (de Luc Besson) il y a un moment. Et je m'étais fait la même réflexion que certains ici : le film ne m'avait pas touché, il n'y avait pas de véritable scénario, et je n'y voyais que de la violence gratuite.
A l'heure où la moindre série sensée être le reflet de la vie quotidienne ("Plus belle la vie" pour la nommer) devient le théâtre de tout un tas d'histoires plus complexes et abracadabrantes les unes que les autres, il n'est donc pas étonnant qu'un film tel que le Guerrier silencieux, dépouillé en diable, soit accueilli avec scepticisme et écoeurement.

Pour autant, quelqu'un d'averti gagnera toujours à essayer de le regarder. S'il n'accroche pas tant pis, mais l'expérience s'il accroche vaut le coup. J'ai lu au début des commentaires que c'est vers la fin qu'il y a un moment d'émotion qui peut happer. Quant à moi c'est très rapidement, vers le début, que j'ai été happé par l'ambiance, et je n'ai pas ressenti plus d'émotions particulières vers la fin. Il y a même une sorte de renoncement, de fatalisme qui s'opère en regardant le film, à l'unisson avec les "héros" du film.
Par contre si vous êtes de ceux qui cherchent inlassablement à donner un sens à tout, passez votre chemin, ce film n'est pas fait pour vous.

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